vendredi 9 septembre 2011

La révolution Causette

Porté par des chiffres de vente encourageants, le bimestriel donne un coup d’accélérateur et passe en mensuel. Preuve qu’un magazine féminin sans pub (ou presque), sans fille anorexique et sans pot de crème, ça marche. Décryptage du succès.

"La première fois que j’ai vu Causette, elle pleurait de joie et avait des grosses traces de rimel sur les joues, raconte une lectrice, Floriane, 28 ans. J’ai explosé de rire chez mon kiosquier. Et je me suis dit mais c’est quoi ce magazine féminin qui titre sur ‘Élisez votre quiche d’or’ avec une minette qui chiale en couverture ! Depuis je suis une grande fan." Un ovni sur la planète plastique de la presse féminine, à mi-chemin entre le féminin et le généraliste. L’équipe de Causette a réussi son pari : donner naissance à un journal hybride qui "ne prend pas ses lectrices pour des andouilles". Et le succès ne s'est pas fait attendre. Le bimestriel vient de passer en mensuel et affiche des ventes en constante progression depuis son lancement en mars 2009. Depuis un an, les ventes ont doublé, flirtant avec les 35 000 exemplaires vendus (source OJD). Un score honnête, surtout que le magazine est à l'équilibre financier depuis plusieurs numéros.

Casser les codes journalistiques
"Plus féminine du cerveau que du capiton, moi ça me va tout à fait", rigole Claire, 50 ans, une lectrice conquise. Dès son lancement, Causette a trouvé le bon ton avec des titres provocateurs et beaucoup d’humour. Parmi les perles des derniers numéros, les lectrices citent le Voyage en graisse - une enquête sur l’obésité -, Alerte à Maliburka - rencontre avec les créatrices du burkini, un maillot couvrant pour les femmes musulmanes - et Voyage à Testostérone City – un reportage à Dubaï où les riches émirats se battent pour avoir la plus grande… tour. Causette se démarque aussi des féminins en cassant les codes journalistiques. "Nous partons en reportage sur des terrains délaissés par les médias traditionnels, comme les pays africains par exemple, précise Johanna Luyssen, rédactrice en chef adjointe du journal. En culture, on ne se borne pas à faire la critique du dernier Beigbeider. Et surtout nous prenons beaucoup de plaisir dans l’écriture." Autre atout : le magazine n'accepte que très peu de publicités. "Pour une fois je n'ai pas l’impression d’acheter un catalogue de pub, commente Manon, 26 ans, Causetteophile. Je ne suis pas considérée comme une consommatrice" Causette s’est fixée sa règle d’or : la publicité ne doit pas occuper plus de 10% du magazine. Un plafond qui n’a jamais été atteint jusqu’à présent… alors « qu’il faut parfois sauter 10 pages de pub pour atteindre enfin l’édito dans certains magazines féminins », ajoute Johanna Luyssen.

Un féminisme débarrassé des harpies anti-mecs
Dans ses articles, Causette banni les clichés machistes et "ne fait pas rentrer les femmes dans des petites cases", commente Manon (la Causetteophile). La rédaction se défend pourtant d’être un magazine féministe. "Nous ne sommes pas un journal militant, nous n’appartenons à aucun mouvement, précise la rédactrice en chef adjointe. Nous sommes féministes par essence, mais aussi humanistes, anti-racistes et plein d’autres choses encore !" C’est peut-être la clé de leur succès. La naissance de Causette coïncide avec un mouvement de réappropriation "d’un féminisme du quotidien", débarrassé de ses stigmates de harpies anti-mecs. "Il y a un désir de la part des femmes de s’affirmer en tant que féministe, de faire vivre l’héritage des années 70, poursuit Johanna Luyssen. Et des groupes de militantes comme Osez le féminisme avancent dans ce sens. Nous gravitons dans les mêmes cercles et nous prônons le même idéal de société." Le succès de Causette est-il le signe annonciateur d'une nouvelle révolution sociale ? "Pas encore, répond Jean-Marie Charon, sociologue, spécialiste des médias. Le magazine Elle a joué un rôle clé dans le combat pour l’IVG dans les années 70. Mais les mouvements féministes étaient beaucoup plus unis qu’aujourd’hui."

Les lectrices traquent les aberrations machistes
La grande force de Causette, ce sont ses lectrices. "Elles ont souvent un lien affectif très fort avec le magazine, quasi fétichiste, commente Johanna Luyssen. Elles collectionnent les numéros, en font des affiches, se mettent en scène avec le magazine et nous envoient les photos." Causette est un magazine communautaire et ça n’a rien de marketing. Dans le magazine les lectrices participent activement à la rubrique On nous prend pour des quiches, qui pointe toutes les aberrations machistes du quotidien : une pub pour un "parfum minceur" nommé "Prends-moi", un salon de beauté qui propose une épilation du maillot dès l’âge de 12 ans (!) ou encore un magazine féminin qui s’enthousiasme de l’ouverture du site montoyboy.com qui permet aux femmes de "louer" un homme pour "leur ordonner tout et n’importe quoi". En somme une revue du grand n’importe quoi.
Pour être plus proche de ses lectrices, Causette va plus loin et se déplace régulièrement en province. "On les reconnait de loin nos copines !, rigole Johanna Luyssen. Même si tous les âges sont représentés dans notre lectorat, c’est souvent des trentenaires, rigolotes, un peu grandes gueules, qui ont le cœur sur la main et qui déboulent en criant 'je vous aime !'." Causette c'est ça : "On s'échange les numéros et vous passez prendre un café quand vous voulez."

La recette de Causette, la liberté de ses journalistes et les petits secrets des couvertures... Interview de Johanna Luyssen, rédactrice en chef adjointe et de Delphine Henry, directrice photo.




Aller plus loin :
- Le site de Causette
- Le blog de Morpheen, illustratrice officielle

Julia Zimmerlich et Elodie Barakat
Crédit photo : E. Barakat

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